L’impact de la crise sécuritaire sur les populations de la ville de Niono

Camp de personnes déplacées à Niono. © Voice4Thought Académie

Ce texte qui traite de l’impact de la crise sécuritaire sur les populations de la ville de Niono est le fruit d’une étude menée auprès des déplacés et des populations de la ville d’accueil (la commune urbaine de Niono) en octobre 2021 par l’équipe de recherche de l’Antenne de V4T-Académie de Niono. Lisez le premier blog de cette recherche, la deuxième et la troisième partie.

« La campagne nourrit la ville, » tel était le slogan de la sociologie rurale dans les siècles passés. Ce slogan demeure encore vrai dans plusieurs parties du monde. Et la petite ville de Niono ne fait pas exception à règle. C’est pourquoi quand la campagne éternue, Niono tousse dans la mesure où ce sont les populations des campagnes qui font tourner l’économie de la ville. C’est à Niono que les paysans/pasteurs s’y approvisionnent en tout. Pendant la période de labour, du matériel agricole aux engrais jusqu’aux semences améliorées, ils viennent tout chercher en ville. Et pour la saison des récoltes, ce sont les moissonneuses et les batteuses qui y sont achetées. L’après récolte est caractérisée par l’achat des motos (grosses cylindrées), des téléviseurs, des décodeurs, des panneaux solaires, des batteries, des téléphones, des trousseaux de mariage, des habits, du matériel de construction (tôle), etc. À cela, il faut ajouter la foire hebdomadaire de Niono dont l’épine dorsale est le marché à bétail (galbal de Niono), l’un des plus importants du Mali et le premier galbal de la région de Ségou. A la suite de multiples incidents sécuritaires contre le tiogal [1], le marché à bétail avait été fermé pendant un mois au minimum avec des conséquences sans précédent pour des milliers de Nionois. Pour rien arranger, le conflit est devenu ethnique/intercommunautaire causant la stigmatisation des uns et des autres. En longueur des journées des radios locales et des médias sociaux ne cessent de relayer de nouvelles relatant les horreurs vécues par les populations du cercle.

Des entretiens, il est ressorti que la crise sécuritaire a eu des conséquences dramatiques pour les paysans et les pasteurs du cercle. Bref, c’est l’ensemble des agro-éleveurs du cercle qui en pâtissent quotidiennement des conséquences de la crise. Cependant, ce ne sont pas seulement pas les déplacés qui souffrent. Niono est la capitale du colon (nom local de la zone office du Niger) où les activités sont interconnectées comme dans un village planétaire. Ainsi, quand ça ne va pas chez l’un, l’autre va le ressentir immédiatement. Et les populations de la ville de Niono sont bien placées pour le savoir comme l’atteste le propos de Cheick Oumar Tidiane Sacko, du quartier A3 :

« La crise sécuritaire a causé beaucoup de problèmes aux habitants de la ville de Niono. Cette dernière n’est pas le théâtre du conflit mais ce qui se passe à l’extérieur bouleverse les échanges commerciaux. Nous vivons de l’agriculture et de l’élevage. Toutes ces activités sont menacées. Ce conflit a fait beaucoup de déplacés et leur situation est précaire. Tout le monde souffre de cet état de fait y compris les réparateurs de motos, les menuisiers, etc. parce qu’il n’y a plus de marché faute de clients. Tous les travailleurs sont des chefs de famille qui n’ont plus de revenus d’où les difficultés des Nionois. »

Dans le même ordre d’idées, Cheick Abdoul Kadri Camara, menuisier au quartier C1 de Niono décrit la situation en ces termes :

« Nous menuisiers n’avons plus de clients. Ces derniers nous viennent des villages situés près de Niono. Et ces villages ont des problèmes de sécurité à tel point qu’ils se vident de leurs populations. C’est pourquoi Niono qui dépend des paysans et des éleveurs fait les frais. Et de nos jours, tous les commerçants souffrent en général. »

Ce sont tous les pans de l’économie du cercle de Niono qui ont été affectés par les conséquences de cette crise sécuritaire. Il n’est pas aisé de se déplacer à cause des menaces le long des routes. Des hommes armés sont presque partout et prêts à tuer, kidnapper, menacer, reprendre les motos et même incendier le matériel agricole. C’est à cause de tout cela que l’économie est à l’arrêt parce que la circulation des personnes et des biens est risquée. Avec les récoltes incendiées de part et d’autre et des animaux enlevés, les agro-éleveurs du cercle n’ont sûrement plus rien à proposer aux acheteurs. A ceux-là, il faut ajouter les nombreux déplacés qui ne sont plus à mesure de se nourrir eux-mêmes à plus forte raison acheter quelque chose au marché. L’homme aux multiples casquettes Oumar Doumbia de Niono (quartier A3), commerçant, vice-président du conseil local de la jeunesse de Niono et Président des jeunes ruraux du cercle de Niono tient le propos suivant sur la situation :

« A travers cette crise, il y a eu beaucoup de difficultés. Nos parents qui vivent dans des villages ont fui les hostilités. Certains ont été tués. Le commerce est au point mort car personne ne vient faire des achats en ville. »

Au vu de tous ces témoignages, nous pouvons dire à la suite des résultats de cette étude que tout le monde souffre des conséquences de cette crise. De 2012 à maintenant, il y a eu beaucoup de problèmes notamment les conflits fratricides qui opposent les éleveurs soupçonnés d’être de connivence avec les djihadistes/terroristes et des chasseurs donsos soutenus par l’armée nationale. Le Mali de bonne cohabitation, de fraternité, de l’amour du prochain et de la communion a cédé la place à un autre Mali où règnent la méfiance, le désamour, les règlements de compte, d’assassinats et d’enlèvements de biens. Ainsi tout a changé. Tout le monde a peur de tout le monde. Les gens ont quitté leurs localités pour des endroits qui les sont inconnus. Ils ont laissé tout derrière eux. La famine existe car les récoltes sont brulées. Les déplacés qui ont quitté leurs localités sont venus trouver que les gens qui devront les accueillir sont également dans l’impasse.[2] La ville de Niono vivante qui ne connaît pas de chômage parce que tous les bras valides ont des occupations quotidiennes se trouve dans un état critique avec une économie moribonde.

[1] En foulfouldé (langue peule) : tiogal au singulier et tioguè au pluriel qui veut dire groupement d’animaux vendus ou en vente, conduits par des bergers d’un marché à bétail à un autre pour y être vendus/revendus par les éleveurs ou les commerçants de bétail. C’est également dans le galbal de Niono que les paysans achètent les bœufs de labour. Ce sont ces tioguè qui furent repris à leurs bergers par les chasseurs établis dans le village de B3 (commune de Sirifila Boundy) à quelques kilomètres de la ville de Niono.

[2] Des bamakois se mettaient avec les déplacés du nord en 2012 pour bénéficier de la DAG (Distribution Alimentaire Gratuite). Le premier ministre de l’époque Cheick Modibo Diarra avait demandé de les laisser profiter parce qu’ils sont aussi dans le besoin tout comme les déplacés. Selon lui, un malien qui accepte prendre un don est un malien nécessiteux sans quoi la fierté du malien ne lui permet pas de se rabaisser de la sorte jusqu’à se disputer les céréales avec des personnes démunies telles que les familles des déplacés du nord.

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience possible.