Ce texte résulte d’une étude menée auprès des déplacés et des populations de la ville d’accueil (la commune urbaine de Niono) en octobre 2021 par l’équipe de recherche de l’Antenne de V4T Académie de Niono. Lisez le premier et le deuxième blog de cette série de recherches.
Le retour des personnes déplacées internes et même des réfugiés est d’actualité au Mali. D’ailleurs, il constitue une épine aux pieds des autorités surtout que de toutes les foras organisées au niveau local comme au niveau national, ce retour des personnes est l’une des conditions posées pour une organisation d’élections inclusives dans le pays. Les déplacés veulent retourner ; les populations d’accueil et les autorités désirent les faire retourner pour diminuer le fardeau qu’ils représentent.
Les résultats des entretiens montrent que les populations demandent de mettre fin à ce conflit à n’importe quel prix pour ne pas embraser le reste du pays. C’est pourquoi, d’aucuns pensent que le retour des déplacés doit être acté par tous les moyens notamment la discussion avec les djihadistes. De multiples propositions de sortie de crise allant de l’usage de la force au recours au dialogue. Chacune des voies a ses défenseurs et ses détracteurs au niveau local comme au niveau national. Même au plus haut sommet de l’Etat, cela ne cesse de diviser sans oublier la ferme position de la communauté internationale qui bannit toute forme de négociation avec les groupes terroristes. Ces derniers disent également préparés à tous les scénarii (dialogue ou confrontation).
Face à toutes ces positions difficilement conciliables, le dialogue avait été entrepris et des résultats probants avaient été obtenus dans plusieurs villages de certaines communes du cercle de Niono comme Pôgô, Toridaga, Kala Sigida, etcetera. Qu’à cela ne tiennent d’aucuns pensent que le dialogue a montré ses limites à cause de la multitude d’acteurs armés qui interviennent dans certaines communes du cercle.[1]
Quoiqu’on fasse, il y a toujours des personnes animées de mauvaise volonté qui sapent les efforts des médiateurs à cause de leurs intérêts égoïstes. Un responsable du conseil de cercle de Niono dit ceci :
« Bon on a posé quelques actes. On a demandé à ce qu’il y ait des dialogues entre les parties. Mais on a vu que tous les accords trouvés à l’issu de ces dialogues ont été violés et on ne sait même pas la raison. On n’arrive plus à faire face à ce conflit. C’est vraiment difficile et les acteurs sont multiples. »
Malgré la diversité d’acteurs et d’agendas des uns et des autres, les populations pensent qu’il faudra limiter les dégâts en préservant par tous les moyens ce qui reste du cercle de Niono. Cheick Abdoul Kadri Camara, menuisier interrogé à Niono pense que :
« Cette crise a créé beaucoup de problèmes aux populations locales. Ce sont les populations des campagnes qui vivent l’essentiel des troubles pendant que les habitants de la ville de Niono n’ont généralement que les échos. Cette situation à la longue atteindra la ville de Niono si toutefois les autorités ne prennent pas des mesures idoines. »
Habitants des villes et des villages ne font qu’un. Et c’est pourquoi quand, les villageois éternuent, les citadins toussent. Quand l’un a des problèmes, il fait appel à l’autre pour le secourir. C’est le tour aujourd’hui des parents qui vivent en ville d’être appelés par les leurs vivant dans les campagnes qui sont dans le pétrin. Si on ne cherche pas de solutions à leur problème, ce serait demain le tour des citadins vu que chaque jour, la situation s’aggrave. Cependant, les conditions de ce retour demeurent floues de l’aveu même des déplacés qui pensent qu’il passe forcément par la résolution du conflit. Pour ce faire, un enquêté pense que:
« Le gouvernement doit très vite agir en sécurisant d’abord le cercle. Il n’y a pas de sécurité raison pour laquelle ces problèmes persistent. Il faut que les populations coopèrent avec les forces de défense et de sécurité. Cela est très important. Il y a trop de problèmes et il faut que l’Etat s’implique davantage dans la résolution de cette crise. »
Pour d’autres personnes interviewées dans le cadre de cette étude, les conditions du retour des personnes déplacées internes passe par le dialogue entre les protagonistes du conflit. Il est de coutume dans ce pays que le problème finit toujours par le dialogue, la médiation entre les acteurs du conflit. Et la situation actuelle ne fait pas à la règle parce que : « sigi ka fô yé damou yé » (« du dialogue naît le bonheur ») dit-on au Mali. Ainsi, un menuisier de Niono interpelle les responsables par les propos suivants :
« L’appel que je lance aux autorités est de s’assoir avec les groupes armés et de dialoguer. C’est l’unique condition d’avoir la paix dans le pays. Ainsi, les gens vont vivre dans la quiétude. »
Dans le même ordre d’idée, un autre enquêté prône le dialogue comme solution aux nombreux antagonismes qui sévissent dans le cercle de Niono. « Tout ce que je peux dire est que seul le dialogue entre les parties peut résoudre le conflit. Donso et djihadiste sont tous des maliens. Alors, on doit se parler quand il y a des mésententes, » soutenait-il.
A l’unanimité, les enquêtés sont sûrs et certains qu’une solution doit être trouvée à la crise afin non seulement de soulager les populations qui souffrent mais aussi de sauver l’avenir des enfants maliens qui sont de ces communes où les écoles sont fermées. Pour un menuisier interrogé à Niono : « Si on ne trouve pas de solution à ce conflit, les conséquences se répercuteront sur l’avenir des enfants. Ils deviendront des criminels. » Il urge alors de mettre fin à la spirale de violence dans le cercle.
En définitive, nous pouvons dire que les populations déplacées aussi bien que les populations d’accueil souhaitent le retour de la paix gage de la réoccupation des villages abandonnés par leurs habitants. Ces derniers ne verront cependant ce vœu réalisé que lorsqu’un dialogue entre acteurs armés permettra d’avoir une paix durable ou si la montée en puissance de l’armée amorcée depuis quelques semaines dans le centre permet à celle-ci à reprendre aux groupes djihadistes/terroristes tous les pans du terroir qu’elle avait perdu jusque-là dans la zone.
[1] Le Haut conseil islamique du Mali avait été mandaté par l’Etat malien pour négocier entre les djihadistes et les chasseurs donsos du cercle de Niono afin de faire taire les armes et permettre la reprise des activités économiques et la libre circulation des personnes, des biens et des services. Un accord avait été obtenu le 14 mars 2021. A l’exception des communes citées, il a volé en éclat dans les quatre autres communes du cercle concernées par le conflit depuis le 9 juillet 2021. Le blocus de Farabougou (commune de Dogofry) qui avait été levé est réactivé. Pour rappel, le village de Farabougou qui abrite un camp de chasseurs avait été sous un premier embargo des groupes terroristes du 6 octobre 2020 au 21 mars 2021. La rupture de l’accord de cessez-le-feu en juillet 2021 a occasionné le retour du blocus malgré la présence de l’armée. Le village de Songho dans la commune de Diabaly avait subi un long blocus de la part des djihadistes au deuxième semestre 2021. Les paysans avaient fini par quitter le village et se déplacer vers Diabaly, Kourouma et Kimbiri Wèrè où ils demeurent encore. Parallèlement plusieurs campements et villages de pasteurs peuls ont déguerpi à la suite d’assauts répétés d’abord des chasseurs et ensuite de l’armée malienne.