La tontine dans l’autonomisation des femmes à Cinzana Gare

Madame A. Traoré, secrétaire administrative de la tontine Tèkèrèni. © Voice4Thought Académie

La tontine est un moyen d’épargne qui se fait partout au Mali principalement par les femmes. Elle leur permet d’apprendre le métier de gestionnaire, de mener des activités génératrices de revenus (AGR), de renforcer la cohésion sociale entre elles. Elle rapprochent les femmes, crée un cadre d’échanges d’idées, de compréhension des défis sociaux, des problèmes de couples par moment. À travers elle, les membres se partagent les joies et peines en se portant assistance pendant les mariages, baptêmes, maladies et décès, mais surtout elle leur permet d’être autonomes. C’est en ce sens que cet article pratique des tontines dans la commune de Cinzana.

La Commune rurale de Cinzana est une commune rurale du cercle de Ségou. Le chef-lieu de la commune est du même nom que le village de Cinzana Gare. Le chef-lieu de la commune se situe à 41 kilomètres au sud-est de la ville de Ségou (chef-lieu de la 4è région administrative située au centre-sud du Mali). C’est une zone agro-sylvo-pastorale qui ravitaille Ségou en céréales et bétail et les femmes occupent une place énorme dans cette chaîne de l’économie locale. La commune comprend 71 villages et couvre une superficie de 1.050 km 2. Avec une population estimée à environ à 55.352 habitants selon le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2023).

Au plan sécuritaire, les forces de l’ordre sont présentes et procèdent régulièrement aux contrôles de routine à l’entrée et à la sortie de la commune. Cela est dû à la situation sécuritaire à laquelle notre pays est exposé depuis des années, les services administratifs, les centres de santé et les écoles fonctionnent normalement. Toutefois, les écoles, les CSCom, la mairie, la sous-préfecture, l’office riz sont tous opérationnels et fonctionnent à temps plein.

Cet article met en exergue ce qu’est une tontine et son impact dans l’autonomisation économique des femmes de Cinzana Gare. Comment les tontines sont organisées et gérées par les femmes de Cinzana ? Quelles sont les conditions d’adhésion des femmes ? Quels sont les impacts socio-économiques des tontines dans la vie des membres ?

Pour arriver à bout de ces questionnements, les chercheurs ont mené des interviews avec des membres de tontines à Cinzana Gare et sont observées durant leur rencontre en mars 2022. Une enquête quantitative est faite sur la base d’un échantillon de 50 femmes. L’analyse et le traitement des données issues de cette recherche ont permis de décrire les Tontine sur la base des perceptions de leurs membres. Les conditions d’adhésions ainsi que les impacts socio-économiques des tontines dans la vie des membres.

La tontine, banque informelle des femmes

Le dictionnaire Larousse définit la banque comme un « établissement financier qui, recevant des fonds du public, les emplois pour effectuer des opérations de crédit et des opérations financières ». La tontine à une similitude avec cette dernière, dans la mesure où ses membres épargnent de l’argent pour l’investir au moment où le besoin se fait sentir. L’argent épargné est mis dans une caisse avec le cahier de compte.

Une caisse avec le cahier de compte. © Voice4Thought Académie

Cette caisse est gardée par un membre et les clés par trois autres membres, l’idée est que les deux ne se retrouvent pas chez une même personne pour éviter le détournement des fonds. L’argent qui se trouve dans la caisse sert à des opérations de crédit. Tout membre qui le désire et qui veut investir dans n’importe quel domaine surtout si ça rapporte de bénéfice en retour a le droit de l’emprunter avec 0% d’intérêt pour d’autres et un faible taux d’intérêt pour certaines tontines. Cette pratique se fait partout au Mali principalement par les femmes.

La tontine : Organisation et mécanisme de gestion

À Cinzana Gare on retrouve les tontines comme Yèrè Dèmè, Benkadi 1 et Benkadi 2, Sodanso, Badenya, Tèkèrèni, Danaya où les femmes se réunissent une fois dans la semaine. Ces tontines sont des regroupements informels ou formels, régis par des règlements et des postes électifs pour faciliter leur bonne gouvernance. Parmi ces tontines d’autres dates plus 30 ans d’existence, martèle T. K. de la Tontine Yèrè-dèmè [en Bambara : aide de sois-même].

Les rencontres statutaires sont hebdomadaires, cela se confirme par la recherche quantitative où 97% affirment cela. Elles se tiennent soit le jeudi, le lundi, le mardi, le samedi ou le dimanche. Il est ressorti des entretiens que les femmes membre des tontines de Cinzana Gare se réunissent ou se retrouvent à tour de rôle chez une d’entre elles, parfois c’est chez la présidente, pour les rencontres de « Alamisani » (jeudi) « Taratani » (mardi) ou samedi. A l’occasion des rencontres, elles cotisent, économisent, épargnent et/ou répartissent l’argent à tour de rôle pour des fins utiles ou investissent dans des biens économiques communs, par exemple dans des marmites qu’elles achètent pour location lors des cérémonies ou dans l’agriculture.

La cotisation diffère d’une tontine à une autre et selon le pouvoir économique des membres de chaque tontine. Madame A. Traoré,  secrétaire administrative de la tontine Tèkèrèni dit ceci : « C’est la somme de 600 F qui est payée chaque lundi par membre. Les 500 F sont rassemblés pour donner à quelqu’un (un membre) et les 100 F sont gardés dans la caisse au cas où quelqu’un en aura besoin pour faire du commerce. »

Il en est de même avec madame K. Konaté de la tontine ’Benkadi 2’ : « Chaque dimanche, on cotise la somme de 750 F, les 500 F sont pour le pari et les 250 F pour la caisse, si la somme devient conséquente, on fait des emprunts dans la caisse ».

Selon A. Traoré membre de Benkadi 1, « Chaque semaine (le dimanche précisément), nous cotisons 250 F pour la caisse et 100 F à part pour les évènements du 8 mars. En plus, il y a le pari qui coûte 2.500 F. Cette somme rassemblée est donnée à une personne chaque mois. »

Ces témoignages prouvent que les adhérentes ont le choix avant d’intégrer une tontine. Ce choix s’instaure à travers la distance, la cotisation, le pari et le taux d’intérêt des prêts.

Ces tontines sont créées généralement par des femmes qui sont voisines. C’est une façon d’impliquer toutes celles qui veulent participer sans distinction aucune, il s’agit des jeunes et des vieilles femmes. Leurs diversités permettent aux femmes d’adhérer à la tontine de leur choix, selon leur pouvoir économique. Elles peuvent contenir jusqu’à 100 personnes.

Elles sont composées des postes électifs pour faciliter la bonne gestion et leur développement. Elles sont structurées de manière que la gestion incombe à un certain nombre de personnes, choisi après un vote. Ces dernières créent les conditions nécessaires pour permettre à tous les membres de s’épanouir. C’est ainsi que nous avons plusieurs postes que nous pouvons retrouver sur le graphique sous dessous :

L’adhésion à certaines de ces tontines comme Yèrè Dèmè, Benkadi 2, Sodanso, Badenya, Tèkèrèni est conditionnée au paiement d’une somme forfaitaire de 2.000 F pendant que la même adhésion est gratuite pour les autres telles que : Benkadi 1, Danaya. Cette somme forfaitaire permet aux nouvelles adhérentes d’être au même niveau de cotisation que les anciennes. Cela se confirme par la recherche quantitative où 66% des répondants affirment que l’adhésion est payante contre 34%.

Par ailleurs, la cotisation est obligatoire pour tous les membres et les emprunts sont autorisés à condition d’être remboursés avec un taux d’intérêt. Le remboursement peut se faire en espèce ou en nature avec un délai de 3 mois, selon les tontines.

Selon Korotimi Dembélé de Benkadi 2 : « Si tu fais un emprunt de 5.000 F, le taux d’intérêt est de 100 F pour un mois. »

La tontine : Un levier d’autonomisation des femmes à Cinzana Gare

L’autonomisation des femmes est la voie la plus sûre vers l’égalité des sexes, l’éradication de la pauvreté et une croissance économique inclusive. Elle permet aux femmes de prendre des décisions déterminantes concernant différents problèmes de la société.  Les résultats des recherches montrent que 97% des enquêtées affirment qu’elles contribuent aux charges familiales. En ce sens, les tontines servent à financer leur activité génératrices de revenu comme l’affirme T. Konaté, membre de la tontine Yèrèdèmè : « Nous avons eu des avantages, les cotisations et autres arrivés à un certain moment on partage entre nous et en font du commerce avec. Ils nous permettent de satisfaire nos petits besoins et celui des enfants. » Ce qui prouve à suffisance l’importance de la tontine dans la vie des femmes de Cinzana Gare.

Slam ‘Tontine’, par formatrice en slam de Ségou Fanta Mariko.

Les emprunts et les paris sont obtenus à la suite d’une demande ou par tirage au sort au sein des tontines permettant aux femmes bénéficiaires de pouvoir mener des activités comme le petit commerce, l’élevage, l’agriculture et le maraîchage. Ces activités leur permettent de pouvoir satisfaire leurs propres besoins tels que payer des uniformes lors des mariages, des baptêmes, acheter du savon, des habits, des chaussures pour les enfants et de venir en soutien au mari pour les charges familiales en complétant les frais de condiments.

D’après D. Djiré de la tontine Benkadi 2 : « J’ai eu des avantages car j’ai pris un crédit dans la caisse pour aller acheter un ovin chez mes parents. Ma famille paternelle n’est pas loin d’ici. Je l’ai confié à mon petit frère et l’année suivante, nous l’avons vendu à la fête de Tabaski. C’était un bélier. J’ai gardé le montant brut et leur donner le reste qu’il complète pour acheter un mouton pour la fête de Tabaski. Après, j’en ai acheté un autre que j’ai revendu encore pour faire les dépenses de mes enfants. Même si je ne prends pas toutes mes dépenses et celles de la famille, je complète les frais de condiments. »

A.S. rebondit dans ce sens en disant : « J’ai eu des avantages dans la tontine comme les formations grâce aux projets et jusqu’à présent nous continuons de bénéficier des formations. J’ai appris beaucoup de choses et même en cas de problème d’argent je ne crains plus. »

Cette affirmation montre que l’importance n’est pas uniquement économique mais aussi éducative à travers des formations. A cela d’ajoute un multiple bienfait pour la femme car même le fait d’appartenir à un groupement est une sorte d’autonomisation.

Les tontines permettent également aux femmes d’apprendre le métier de gestionnaire, de mener des Activités Génératrices de Revenus (AGR), de renforcer la cohésion sociale entre elles, de maintenir l’équilibre familial à cause de la croissance des dépenses, par exemple selon K. Dembele de la tontine Benkadi : « Nous avons une caisse dans laquelle on peut faire des emprunts au lieu d’aller s’endetter à la banque.Si une personne fait un emprunt, elle va satisfaire les besoins dans la famille pour que les petits fils et fils puissent être content. Nous avons eu des avantages dans la tontine à cause de l’agriculture parce que il y a un projet qui est venu voir nos œuvres, a apprécié et nous a aidé. »

Les limites des tontines: Les querelles?

Mais, bien que les tontines leur procurent autant des avantages, ces tontines ces tontines ne sont pas exemptes des limites. Les analyses montrent qu’au delà des bienfaits des tontines, elles peuvent être également source de conflit comme le dit ce proverbe indien « L’argent est la hache qui sépare les amis inséparables. » À Cinzana Gare, les tontines peuvent susciter des querelles ou des mésententes dues au retard des paiements de cotisation. Ce qui provoque en majorité la division et par la même occasion la dissolution de la tontine. Vu que ce sont des associations informelles pour la plupart, la saisie de la justice est rarement une option, pour ne pas affecter les liens sociaux. D’autant plus que l’un de leurs objectifs phares est de contribuer à tisser des liens entre elles.  En cas de conflit, cela se résout à travers des médiations, l’intervention des familles.

Conclusion

Cette étude nous a montré que l’organisation et la gestion des ‘Tontines de Cinzana Gare’ sont appréciées par les membres. Les tontines contribuent à l’autonomisation financière des femmes de Cinzana Gare et de pouvoir mener des activités afin de changer leurs conditions de vie dans la société. Elles leur permettent d’épauler leurs maris qui se trouvent dans des situations de difficultés financières pour la paix dans la famille. L’hypothèse d’autonomisation économique des femmes de Cinzana Gare à travers les tontines se trouve alors confirmée. Les tontines sont un moyen de renforcer la cohésion sociale et le vivre ensemble dans l’harmonie. La participation massive aux différents évènements, qu’ils soient tristes ou heureux, en sont des preuves.

Tous ces bienfaits nous poussent à poser cette question, que sera la vie en famille sans la tontine ?

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience possible.