Le cercle de Niono situé au centre du Mali (région de Ségou) est considéré comme le plus grand grenier du Mali parce qu’il abrite une bonne partie des terres irriguées de l’office du Niger. Ce sont les eaux du barrage de Markala construit par le colonisateur français entre 1934 et 1947 qui ont fait de cette région jadis sahélienne la première région rizicole du Mali. L’histoire nous enseigne que le peuplement d’une bonne partie dudit cercle est contemporain à l’avènement de l’Office du Niger. Habituellement partagées entre l’agriculture et l’élevage, les populations du terroir sont devenues par la force des choses d’agro-éleveurs transformant ainsi ce terroir où on ne cultivait que du petit mil une zone d’importantes productions rizicoles/pastorales. On y trouve essentiellement onze (11) groupes ethniques venant d’horizons divers qui sont : Bambaras, Peuls, Songhaïs, Soninkés, Touaregs (Bellah ou Tamasheqs noirs) Miniankas, Mossis, Dogons, Samogos, Bozos et Maures. Les langues dominantes sont le Bamanakan, le Foulfouldé et le Songhaï.
A l’instar des autres cercles du centre du Mali, Niono connut les conséquences de la crise d’abord par l’accueil des déplacés avant d’en être le théâtre. C’est à partir de juillet 2020 que les chasseurs donsos du cercle et les djihadistes renouent avec la violence rompant ainsi l’accord de cessez-le-feu obtenu par Faso Dambé Ton un an plus tôt (juillet 2019). [1] Ce conflit qui a repris d’abord à Farabougou (commune de Dogofry) finit par embraser plus de la moitié des communes (7/12) du cercle en se poursuivant dans les communes de Diabaly, de Mariko, de Sirifila Boundy, de Toridaga, de Siribala, de Kala Sigida et de Pôgô. Cette situation a occasionné des déplacements de personnes sans précédent. Et la ville de Niono (chef-lieu de cercle) est le centre d’accueil privilégié de ces déplacés. Niono est le lieu considéré comme le plus sûr de la région et c’est là que se trouvent les différents camps/postes des forces de défense et de sécurité.
Ce texte qui décrit la situation de ces déplacés dans la commune urbaine de Niono résulte d’une étude menée en octobre 2021 par l’équipe de recherche de l’Antenne de V4T Académie de Niono. C’est précisément les déplacés de la commune de Mariko vivant dans la commune urbaine de Niono qui avaient fait l’objet de ladite étude.
Dernière commune du cercle à s’embraser en 2021 à la suite d’une tentative d’assassinat d’un maître-chasseur par les djihadistes, la commune de Mariko a vécu la pire crise du deuxième semestre de l’année 2021. Cette situation d’horreur est décrite par Hassan Ag Sidi :
« Je viens de la commune Mariko dans le village de Inecarde. Nous avons eu beaucoup de problèmes. De ma naissance à ce jour, je n’ai jamais vu une telle atrocité. La majeure partie de mes proches sont morts dans ce conflit. Nous avons été dépouillés de tout. Dans le village, rares sont les gens qui ont cultivé et ceux qui l’ont fait, leurs champs ont été brûlés. Tout le monde a fui sans exception. Aujourd’hui on n’a même pas de quoi manger. Au tout début, notre site d’accueil abritait trente-trois (33) ménages qui avaient été assistés par l’ONG Solidarité. Mais aujourd’hui, ce sont quatre-vingt-quinze (95) ménages qui y vivent dans toutes les difficultés sans assistance. Les Mairies de MariKo et de Niono plus le service du développement social nous avaient aidé ; mais c’était vraiment insuffisant. »
Il ressort des entretiens que nombreux sont les déplacés arrivés en catastrophe dans la localité de Niono qui malgré l’appui des autorités, des ONG et des personnes de bonne volonté broient toujours du noir comme l’atteste ce propos de Aguissa Dicko :
« Ce qui est difficile ici, c’est qu’on n’a rien à manger et ce sont les enfants qui partent chercher à manger pour les personnes âgées On a aucun moyen et on a besoin d’aide. On cherche également un endroit où loger. »
Beaucoup mentionne aussi que le problème de logement des déplacés se pose avec acuité parce que les écoles qui servent de centre d’accueil doivent être libérées car l’ouverture des classes sera effective le 2 novembre 2021. Ce sont tous ces problèmes que décrivent Fadima Camara, une mère de famille en ces termes :
« Ce conflit nous a causés beaucoup de problèmes. On n’a rien ici puisque dans notre fuite, nous avons tout laissé derrière nous. Les enfants, les femmes, les hommes ; tous souffrent. Ce n’est pas facile de vivre dans des écoles dans ces conditions. » Ceci pour dire qu’, « on a un sérieux problème de logements et de nourriture. Il y a également un problème d’argent car même si on a le riz, c’est difficile de trouver les condiments pour préparer. En plus, nous n’avons pas nos vêtements ici. »
Même si certains comme Mamoutou Sidibé pense qu’ « aujourd’hui, ça va un peu, » sans occulter de mentionner qu’ « il reste beaucoup à faire, » les déplacés de la commune de Mariko vivent un quotidien difficile à telle enseigne que la mendicité est devenue une option pour beaucoup d’entre eux. Au-delà de tous ces problèmes susmentionnés, Moussa Traoré dit Mpah, vice-président du conseil de cercle explique que :
« Cette crise sécuritaire a touché plusieurs secteurs. Les gens s’entretuent, il y a de la famine car les vivres ont été détruits. Beaucoup de gens ont fui leurs localités. Ils sont venus avec des troubles psychologiques se réfugier chez des gens qui souffrent de la pauvreté. Parmi ces problèmes, il y a celui lié à l’éducation en plus de l’arrêt de toutes les activités. Il n’y a que des conflits. »
Au vu de tous ces dires, nous pouvons soutenir que cette situation créée à la suite de l’invasion djihadiste dans ‘le colon’, appellation locale de la zone office du Niger, interpelle à plus d’un titre les autorités étatiques. Ces dernières doivent s’assumer et jouer leur rôle régalien de sécurisation des personnes, de leurs biens et d’assistance aux personnes vulnérables. Ainsi, les déplacés de la commune de Mariko comme tout autre déplacé de la crise malienne doivent sentir la présence de l’Etat afin de les aider à surmonter les nombreuses épreuves difficiles qu’ils traversent.
[1] En juillet 2019, après des mois d’échanges entre les groupes djihadistes et les chasseurs donsos, l’association Faso Dambé Ton soutenue par le secrétaire aux conflits de Tabital Pulaaku (association communautaire peule) avait obtenu un accord de cessez-le-feu qui permit de mettre fin aux hostilités dans plusieurs cercles du centre du Mali qui étaient en feu pendant près de deux ans. Cette association avait bénéficié en catimini de l’accompagnement du ministère malien de la réconciliation.