La dégradation de la situation sécuritaire au Mali en général et au centre en particulier mérite un traitement d’urgence, à travers des approches robustes s’attaquant à l’injustice et à l’impunité. Et ce, aussi bien du côté des acteurs armés que celui des forces de défense et de sécurité nationale. Il s’agit là, de placer la justice et les droits de l’être humain au cœur des réactions et réponses adéquates sécuritaires qui seront apportées.
Depuis l’avènement de la crise sécuritaire en 2012 et son expansion et implantation dans le centre en 2015, le pays est confronté à des crises à plusieurs niveaux et menace même l’existence de la nation. Le Mali fait face à des défis en matière: sécuritaires, politiques, humanitaires, alimentaires.
Le développement socio-économique est presque mort, exacerbé par la situation sécuritaire qui prend d’autres formes, avec l’empêchement des paysans de cultiver, des éleveurs de faire paître leurs troupeaux, de changement climatique avec la mauvaise pluviométrie des deux dernières années. La famine pointe le bout de son nez dans plusieurs coins du pays.
D’une part, la région de Ségou (zone office du Niger) avec plus de 100 000 ha de terres irrigués, compté aujourd’hui parmi les plus grands aménagements hydro-agricoles du continent africain et contribuant fortement à la sécurité alimentaire du Mali avec une production annuelle d’environ 500.000 tonnes de riz n’est plus très à l’abri. En effet, ce grenier Malien, voir Africain est devenu l’épicentre du conflit, mettant en mal l’agriculture et beaucoup d’autres activités sur la berge. Certaines localités de la dite région ne cultivent plus et la population de la zone office vit une catastrophe, en assistant avec impuissance à la brûlure des récoltes et des champs prêts à être moissonnés. Les groupes armés, en mettant du feu dans les champs et en brûlant les récoltes, sont sûrs d’amener la famine et soumettre les populations à leurs diktats et idéologies.
En outre, cette forme de guerre, cette tactique dite de champs brûlés, conduira sûrement à la famine et à l’affaiblissement de la population Malienne. De plus, elle donnera un coup à un vivre ensemble déjà mis à mal, puisque depuis la nuit des temps, des petites tensions et des petits conflits ont toujours existés entre Peulh (éleveurs) et Bambara (agriculteurs) qui sont gérés à l’amiable par les autorités coutumières, et souvent par les autorités locales jusqu’à l’arrivée des djihadistes parlant majoritairement le Puular qui ont chassés les représentants de l’autorité de l’État, ce qui a amené une méfiance des autres communautés face aux Peulhs et cela jusqu’à l’éclatement du conflit dans la zone entre les donsos et djihadistes.
D’autre part, la région de Mopti, zone d’élevage et de pâturage par excellence, n’est pas plus à l’abri que la première. En effet, cette zone est aussi devenue un véritable ‘ring’ où les éleveurs constituent la partie adverse faible et fortement mise au chaos dans le dudit combat. Ils sont constamment tués et dépossédés de leurs bétails pour des destinations inconnues. Mettant ainsi en berne le secteur économique majeur du Mali.
Il faudrait à cet effet connaître l’apport de l’élevage sur notre économie, pour réaliser et mesurer l’ampleur de la perte du pays en ne protégeant pas ce secteur d’activité. Le cheptel malien est le plus important de la zone UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, toutes espèces confondues). Selon les sources officielles, l’élevage représente 1/4 du PIB primaire et environ 1/10 du PIB national, soit le double des filières riz et coton réunies. Alors, cette activité doit et mérite d’être protégée.
L’élevage représente une entrée énorme d’argent dans le pays. Avec le vol massif des animaux du Mali vers d’autres pays voisins et vers l’extérieur même de l’Afrique, le cheptel Malien risque de disparaître ou de subir une diminution conséquente et cela conduira forcément aux chômages massives des jeunes puisque le domaine embauche et nourrit beaucoup de personne, conduira également à l’immigration forcée et clandestine, la viande deviendra un luxe pour les citoyens lambdas. Ceci dit, il est urgent de protéger le secteur en protégeant les bergers et la population aux risques qu’encourent les citoyens.
De plus, la récente détérioration de la situation sécuritaire (2020 – 2021) au Mali est tout autant visible à travers l’expansion de l’insécurité qu’à travers la migration du conflit vers le sud du pays. Elle se manifeste non seulement par l’augmentation du nombre de déplacés internes et externes avec son lot d’abandon de terres cultivables des paysans, mais aussi par la fuite des éleveurs avec leurs bétails vers d’autres pays voisins.
Ceci dit, il est urgent de prendre des mesures afin de stopper l’hémorragie du laisser-aller et la stigmatisation que subissent certaines ethnies, avant qu’elle n’échappe au contrôle du pouvoir central.
Il faut souligner que « plusieurs acteurs, dont des défenseurs des droits de l’homme et des chefs religieux, ont souligné la dégradation des conditions socio-économiques dans le pays et ont prévenu que la stigmatisation et la discrimination dont font l’objet certaines communautés, notamment les Peuls/Foulani, ainsi que les violations commises lors des opérations antiterroristes de l’armée antiterroristes, contribuent à la radicalisation, » dit Ilze Brands Kehris, Sous-Secrétaire générale des Nations Unies aux droits de l’homme. Donc, dans la faible posture sécuritaire dans lequel se trouve le pays, il faut éviter à tout prix de tels agissements sur les populations pour éviter cette radicalisation.
Ce phénomène de radicalisation n’arrive pas en seul jour, mais au bout de plusieurs facteurs qui sont : les pressions injustifiées, les enlèvements, les séquestrations, les tortures et les disparitions forcées, commises par l’armée et les chasseurs sur les populations qui conduisent aux ralliement djihadistes.
Pour éviter cette radicalisation en cours et qui pourrait s’intensifier si rien n’est fait, il faut créer un dialogue franc avec la population nomade et les bergers autochtones, éviter de penser que telle personne est de telle ethnie, donc djihadistes, mettre les bergers dans les approches en cherchant leurs confiance (ils peuvent fournir beaucoup de renseignements aux forces de défense de sécurité) puisqu’ils sont en permanence mouvement avec leurs troupeaux et sont en contact permanent aussi avec les groupes armés dans leurs déplacements.
Par ailleurs, si le Mali doit redoubler ses efforts pour relever les défis complexes auxquels il est confronté. Cela devrait inclure une approche de mise en place des Équipes de Personnes Ressources (EPR) composée de toutes les légitimités locales afin d’être des relais entre les gouvernants, les gouvernés et les acteurs armés. Cette approche réduira le risque de conflit intercommunautaire et permettra de remédier à la stigmatisation et d’ouvrir des voies pour des futurs dialogues avec tous les acteurs de la crise. Pour ce faire, un plan d’action concret doit être défini entre les populations avec les forces de défenses et de sécurité et financé par l’État pour garantir que les opérations de sécurité et de lutte antiterroriste soient menées conformément aux respect des droits humains et la protection des civils et leurs biens.
En conclusion, il s’agirait de ne pas profiter de la lutte contre le terrorisme pour ethnitiser le terrorisme, et légitimer la discrimination. Le terrorisme n’a pas d’ethnie. Alors, on doit se focaliser sur l’objectif tout en se rappelant que, plus une personne est victime de discrimination, plus celle-ci tombe facilement dans la radicalisation. Il est donc urgent, voir primordial de conjuguer les actions de lutte contre le terrorisme avec un volet de lutte contre les discriminations.