Texte rédigé par Karamoko Guidjilaye, coach expression artistique à Ségou.
L’Afrique est un vieux continent riche en culture et en tradition. En Afrique de l’ouest, particulièrement au Mali, vit une communauté sous le nom de « Bamanan ».
En Bamanankan (la langue parlée par les Bamanan) l’individu s’appelle « mƆkƆ ». « MƆ » signifie « la maturité » et « kƆ », signifie « après ». Ainsi, les Bamanan voient l’individu comme étant au-delà de la maturité. Pour mériter l’appellation mƆkƆ, l’individu, entre le tissu de portage et le linceul, passe entre différentes strates d’initiation. C’est pour faire du néophyte un initié forgé physiquement et spirituellement pour être autonome pour se servir et servir la communauté toute entière. Il existe six sociétés initiatiques chez les Bamanan : N’domo, Ciwara, KƆmƆ, Nama, KƆnƆ, KƆrƐ. Chaque société correspond à une tranche d’âge et enseigne des leçons spécifiques à l’homme. L’Antenne Ségou a mené des recherches sur la société d’initiation N’domo.
Ségou connue sous le nom de la cité des Balanzans est la quatrième région administrative du Mali située à 240 KM de Bamako, la capitale avec un climat tropical sahélien. Sur une superficie de 60.947 km², la population ségovienne est estimée à 2.949.095 habitants (RGPH 2021), composée de diverses ethnies dont les Bamanan majoritaires, les Minianka, les Bwa, les Soninkés, les Bozo, les Somono, les Peuls et les Maures. A l’image des sociétés traditionnelles Bamanan, Ségou accordait une importance particulière aux classes d’initiations et précisément au N’domo.
L’initiation au N’domo
Étymologiquement N’domo vient des mots « dƆn » qui signifie « la connaissance » et « mƆ » qui signifie « pêcher ». Ce qui nous renvoie à l’idéal même du N’domo « la quête du savoir ». Dans la société Bambara, les garçons de la même génération (filan kuluw), âgés de 6 à 7 ans, sont regroupés et initiés au N’domo, dont l’enseignement s’achève à l’âge de 21 ans. Après cette initiation, les jeunes sont circoncis et appelés à assumer un rôle actif au sein de la société. La société N’domo est composée de cinq échelons que les jeunes doivent franchir un à un.
Le N’domo est une étape de socialisation dans la société Bambara dont l’accent était mis uniquement sur le genre masculin car ils étaient appelés à diriger la famille. Sa mission était d’ordre culturelle dans le cadre de l’apprentissage des normes et valeurs sociétales.
Comme l’explique Coulibaly Y, une des anciennes autorités municipales à Pelingana :
« La mission était culturelle, visant à enseigner aux jeunes non circoncis les valeurs qu’ils devraient respecter au sein de la société. Son rôle était d’inculquer aux jeunes le respect de nos valeurs, le respect des aînés, des femmes et des personnes âgées. »
Doumbia B, le promoteur du Centre N’domo à Ségou, confirme cette notion en déclarant que, « le N’domo est une société initiatique dont l’enseignement porte sur l’homme et la nature, » ajoutant que « le N’domo est une école de la vie ».
Vidéo : Slam sur l’initiation de N’domo.
Les échelons du N’domo
Les cinq échelons sont : Jara, KƆnƆ, Ntori, Kami et Wulu. Le N’domo enseigne aux jeunes les questions essentielles sur l’identité : « Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Pourquoi es-tu ici ? Que fais-tu ici ? Où vas-tu ? », selon le Dr. Fodé Moussa Sidibe.
Jara (le lion) symbolise l’enseignement de la genèse de la création de l’homme, ouvrant l’esprit des jeunes à leur nature primitive pour qu’ils puissent mieux se connaître et réfléchir sur leur avenir.
Ntori (le crapaud), la deuxième classe, traite des religions traditionnelles et enseigne sur la vie, la mort et la réincarnation, mettant en avant les concepts de vie-mort-vie : « nin bƐƐ bƐ saya nƐnƐ ».
KƆnƆ (l’oiseau), à son tour, enseigne aux jeunes ce qui va au-delà de la matière, les amenant à réfléchir sur l’âme, la conscience et l’intelligence.
Kami (la pintade) met l’accent sur l’importance du travail et de la persévérance, montrant que l’homme Bamanan se nourrit de la sueur de son front, résultant de son propre labeur.
Wulu (le chien) est reconnu par sa fidélité. Un homme Bamanan est fidèle envers les gens mais surtout très fidèle envers sa parole donnée. Il ne dit rien qu’il ne puisse pas faire « hƆƆrƆn bƐ minƐ a dalakan ma ». Le point de prise d’un noble est sa parole.
C’est après avoir franchi toutes ces étapes que le jeune est circoncis. Il se marie et commence une nouvelle aventure. Voilà que ces nouveaux braves hommes sont face à leur destin. Mais ce n’est pas tout car le N’domo est une école d’orientation. L’enseignement du N’domo peut accompagner durant toute une vie. Et c’est cet idéal qui fonde le N’domo : regroupement, formation, insertion.
Le masque du N’domo
Il n’existe qu’un seul masque N’domo. Il est porté lors de la fête de tabaski, de ramadan, la fête de fin d’année.
Le masque se fabrique avec le bois d’arbre, les cauris, le fer et la peinture noire tous significatifs. Le masque du N’domo a un visage noir et des yeux rouges, des boucles d’oreilles avec 5 à 7 cornes. Ce masque signifie le respect, la paix, la soumission, la dignité. Les 7 cornes signifient les 7 jours de la semaine et de toutes les personnes.
Les cauris sur le masque expliquaient la richesse de l’homme. Toutes les personnes qui possédaient des cauris étaient considérées comme riches.
Les yeux rouges sur le masque expliquaient la bravoure d’un homme.
Et les lèvres blanches sur le masque expliquaient la paix, l’union et le vivre ensemble.
Vidéo : Slam sur le masque de N’domo.
Les enseignements du N’domo sont souvent codés dans des chansons, et seuls les initiés sont en mesure de les décoder. Voici un exemple de chanson N’domo :
« banzani i ka jan kokojugu
banzani i da duguma banzani
banzani i ka jan kokojugu
banzani i da duguma banzani »
Le balanzan tu es trop long
Le balanzan rabaisse-toi un peu
Le travail selon la société traditionnelle Bambana et le concept du N’domo
Dans la société traditionnelle, il n’y a que 3 types de travail connus des Bambara : « foroba baara », « jƆnforo baara » et « jatigui don ».
Tout d’abord, le « foroba baara » était le travail collectif effectué par tous dans l’intérêt commun de la famille. Par exemple, pendant la saison des pluies, tous les membres de la famille cultivaient ensemble le champ familial. La récolte était ensuite stockée dans le grenier pour nourrir la famille tout au long de l’année.
Ensuite, « jƆnforo baara » était le travail personnel que chacun pouvait effectuer en parallèle du « foroba baara », pour son propre bénéfice. Par exemple, une fois le champ familial cultivé, quelqu’un pouvait se consacrer à cultiver son propre champ de haricots, qui n’était pas un bien commun de la famille.
Enfin, jatigui don était une autorisation donnée par le chef de famille aux membres qui souhaitent partir travailler ailleurs pour gagner quelque chose avant la prochaine saison. Cependant, il était strictement interdit à ces jeunes d’être dépendants de quelqu’un d’autre. Les jeunes initiés au N’domo étaient formés pour être autonomes et faire face aux défis de la vie. Lorsqu’un jeune allait vivre chez un parent (son jatigui), ce dernier avait le devoir de lui fournir un abri et avait le choix de lui fournir de la nourriture. L’hospitalité était une valeur primordiale dans la société traditionnelle bambara. En signe de reconnaissance envers son jatigui, le jeune se consacrait à ses propres activités pendant cinq jours, tandis que deux jours étaient dédiés aux activités du jatigui. Ces deux jours étaient appelés « jatigui don ».
Un modèle économique démocratique
Dans la société N’domo, les jeunes sont formés selon un modèle économique où, une fois le travail collectif accompli, les bénéfices sont équitablement partagés. Le Centre N’domo à Ségou est un établissement de formation professionnelle qui met en pratique ce système traditionnel, adapté aux réalités de notre société moderne. Cela englobe le regroupement des jeunes, leur formation, et leur préparation à une intégration réussie dans la vie socio-professionnelle.
Quel sort pour le N’domo ?
Tout d’abord, notre société a été fortement influencée par deux civilisations : la civilisation judéo-chrétienne et la civilisation arabo-musulmane. Par exemple, selon les musulmans, les sociétés d’initiation sont souvent considérées comme des groupes mécréants.
De plus, dans la société actuelle, l’individu est souvent mis en avant, tandis que dans la culture N’domo, c’est le groupe qui prévaut. Notre société est également basée sur un système capitaliste, où les employeurs s’enrichissent souvent au détriment des employés, même si ces derniers effectuent le travail le plus difficile. Face à toutes ces évolutions, quel sera le destin du N’domo ?